A propos de la pérennité relative des projets d’agriculture citoyenne en ville

Quelques fois, on interroge de manière dubitative la pérennité des projets d’agriculture citoyenne en ville. C’est d’abord au moment de la conception et du lancement de ces projets qu’apparait l’immanquable questionnement sur la durabilité du projet, au sens de son espérance de vie.

Les pouvoirs publics et les bailleurs de fonds craignent à juste titre que leurs efforts et leurs financements soient investis dans des projets trop éphémères, de séduisantes perspectives qui ne survivront pas aux prochaines vacances d’été.

Depuis 4 ans, l’association Haie-Magique accompagne les collectivités locales, les bailleurs sociaux et les collectifs citoyens dans la construction de tous types de projets qui relèvent de ce qu’il est maintenant convenu d’appeler l’agriculture urbaine : jardins collectifs de pieds d’immeubles, végétalisation participative d’espaces publics et d’établissements scolaires, sylviculture urbaine pour créer vergers et lieux de cueillette…

Nous disposons donc d’un petit recul (quelques dizaines de projets) qui nous a permis de développer une méthodologie intuitive d’évaluation de leur durabilité.

Nous proposons ici quelques idées sur lesquelles repose cette évaluation et les conclusions pratiques que nous en tirons pour notre travail de terrain.

Le petit groupe d’habitants « dynamiques et motivés », un faux-ami

Graal de nombreux élus lorsqu’il s’agit de décider si la collectivité accompagne tel ou tel projet, la présence à l’origine d’un groupe de citoyens motivés pour porter le projet est encore exigée par de nombreux décideurs. Pour un « projet citoyen », il semble normal et de bonne gestion d’exiger la présence de … citoyens.

Selon notre expérience, la présence à l’origine du projet d’un groupe/collectif d’individus (en général des voisins) n’est jamais à elle-seule un facteur essentiel de la pérennité du projet et il nous a été donné d’assister à quelques projets portés par des collectifs à l’apparence très motivés, qui ont capoté dès les prémisses de la concrétisation.

Les raisons pour cela sont évidentes.

Dans un contexte urbain, l’idéal de ces quelques familles qui se prennent à rêver d’un potager au pied de leur immeuble est éminemment fragile. Il est livré aux aléas et aux vicissitudes de la vie de chacun des membres du collectif : qu’interviennent un changement professionnel, la naissance d’un petit dernier, la séparation de l’un des couples, ou bien la moindre brouille entre l’un d’eux et la belle motivation individuelle disparaitra immédiatement (je ne parle même pas des déménagements dans des villes de banlieue dont l’habitat est majoritairement locatif). On constate que dans un groupe de 4 à 6 familles (la généralité des cas), il suffit en général qu’une personne « porteuse » quitte le groupe ou soit moins disponible pour que toute l’énergie du collectif s’évapore.

Second aspect, si l’on exige la présence d’un groupe de porteurs plus ou moins nombreux et structurés, on mesure toujours mal leur aptitude à passer à l’action, à entrer dans le concret. C’est un invariant de la gestion des projets sociaux : de nombreuses personnes sont à l’aise et s’épanouissent dans la phase d’amont du projet, sa maturation mais une fois les choses lancées, la réalité du terrain n’est pas ce qu’ils imaginaient, ils n’y trouvent plus leur place ; ces gens-là finiront par se désinvestir du projet, si on ne leur propose pas rapidement un encadrement adapté.

Les projets qui sont portés seulement par un collectif informel de personnes physiques liés par la seule relation de voisinage sont selon notre expérience assez peu pérennes, principalement à cause des aléas de la vie, de la difficulté que nous avons tous à s’investir sur le long terme et de l’absence chez certaines personnes de culture de la conduite de projets collectifs.

Préférer un contexte micro-local porteur

Après avoir rencontré le groupe d’habitants supposément « dynamiques et motivés », nous cherchons surtout à identifier un contexte socio-culturel porteur.

Un contexte micro-local favorable est celui dans lequel le projet va faire sens pour de nombreuses parties prenantes  situées dans son immédiate proximité (à commencer par les habitants).

Un jardin collectif en permaculture a de meilleurs chances de survie s’il est situé en zone urbaine dense, avec une prédominance de l’habitat collectif, avec dans sa proximité des institutions comme des écoles ou des collèges, des résidences pour personnes âgées, une bibliothèque ou un centre social municipal.

Ces chances seront encore supérieures si dans les résidences alentours, on peut impliquer des associations de locataires ou d’habitants, des structures ou intervenants qui participent d’ores et déjà à l’animation socio-culturelle du quartier.

Enfin, on renforcera encore les chances de réussite si à proximité, il existe déjà des initiatives qui concourent au vivre-ensemble et investissent le champ de la culture des végétaux et de la Ville nourricière.

Implanter le site au milieu d’une multitude de parties prenantes, s’adressant chacune à des publics différents et s’appropriant le projet pour servir leurs propres besoins est certainement une voie royale pour asseoir la pérennité des projets. Les institutions parties prenantes ont forcément une certaine culture de la conduite de projets collectifs, que ce soit sur le plan logistique ou de la gouvernance. Elles sont en général familiarisées avec les logiques de coopération et les problèmes d’ego ont tendance à occuper moins de place que dans les collectifs de personnes (évidemment nous sommes là dans la généralité !).

Lorsque des institutions sociales, éducatives, médicales sont parties prenantes, la valeur ajoutée sociale du projet se concrétise plus rapidement. En insérant le projet dans leur programme d’activités et en y impliquant leurs publics, ces institutions tirent un bénéfice immédiat du projet ; elles voient leur utilité sociale renforcée. Avec la mobilisation du réseau des acteurs locaux, la montée en puissance peut ainsi se réaliser sur un terme plus court, avec de meilleures chances de succès.

Assurer un minimum d’encadrement externe

Les projets d’agriculture urbaine mobilisent de nombreux savoir-faire dans des domaines assez disparates (conduite de projet, management de groupe, animation territoriale, agronomie, droit de l’urbanisme, marketing et communication, collecte de financements, relations avec les pouvoirs publics, etc) et il n’arrive jamais qu’un groupe porteur d’un projet dispose d’un expert dans chacun de ces domaines.

On peut voir de magnifiques idées buter bêtement sur des obstacles parfaitement triviaux : un collectif informel paralysé par la perspective de se transformer en association loi 1901, des jardiniers débutants découragés par leur échec, après avoir commis quelques erreurs grossières, des porteurs de projets s’empêtrant dans des considérations « politicardes », au moment de négocier avec la Ville la mise à disposition du terrain, quelques centaines d’euros impossibles à trouver pour acheter des graines et des boutures…

On pourrait multiplier ces exemples, tellement il est facile pour le moindre grain de sable de perturber la subtile et complexe alchimie qui permet à un projet citoyen de Nature en ville d’exister et de perdurer.

L’assistance à la maitrise d’œuvre est donc cruciale car elle permet d’assurer rapidement des résultats concrets qui seront indispensables pour préserver la mobilisation des acteurs dans le projet.

Institutionnaliser le projet, conventionner les relations

Pour des projets collectifs qui sont longs (et difficiles) à construire, dont les résultats concrets sont ensuite soumis à l’aléa biologique de l’agriculture, il ne faut négliger aucun facteur de réassurance. Or le droit est pour toutes les parties prenantes une source irremplaçable de sécurité.

Trop souvent le volet juridique est négligé dans les projets d’agriculture urbaine.

Ce sont d’abord les porteurs de projet qui sont quelques fois réticents à institutionnaliser leur collectif. Pourtant la création d’une personne juridique dont l’objet sera d’abriter le projet et de veiller à son épanouissement est un facteur évident de pérennité. En se dotant d’un certain degré d’autonomie juridique, le projet se consolide, se rend indépendant de la bonne volonté relative des parties prenantes. L’institution porte également avec elle une gouvernance, plus ou moins rigoureuse ou formalisée : là aussi les bénéfices sont évidents, tant les questions de gouvernance sont au cœur de ces projets collectifs qui s’occupent de la gestion des communs.

Hélas quelques fois aussi, les propriétaires fonciers (privés ou publics) trainent les pieds pour conventionner l’occupation du sol. Pour un cultivateur qui année après année aménage et interprète son espace de travail, agrade son sol, prend la mesure des conditions climatiques particulières, rien n’est plus désespérant que de rester confiné dans ce statut d’occupant précaire, risquant à la fin de chaque saison de voir disparaître le capital accumulé.

Low budget – low impact

Autant l’argument de la « pérennité incertaine du projet » est quelques fois utilisé par les pouvoirs publics pour « botter en touche », autant il est légitime lorsqu’il s’agit d’investir des deniers publics pour des montants non symboliques.

Pour cette raison, nous privilégions une approche extrêmement frugale dans le dimensionnement économique de ces projets alternatifs d’aménagement urbain. En bonne logique, le fait de rendre de petites portions de l’espace public aux citadins pour leur permettre d’y installer des végétaux (voire une basse-cour), de s’adonner à une petite culture nourricière ne devrait pas coûter beaucoup d’argent (selon nous il devrait même permettre d’en économiser, si l’on prend en considération les budgets alloués par les villes à l’entretien de leur espace public).

Lorsqu’ils doivent décider de l’implantation d’un site d’agriculture citoyenne dans un contexte urbain un tant soit peu dense, les pouvoirs publics envisagent également les coûts indirects induits par le projet. Ceux-ci sont relatifs par exemple au traitement en mairie des plaintes et questions émanant des riverains, aux frais de remise en état du site si le projet « capote », aux changements à opérer dans les marchés publics avec les prestataires en charge de l’entretien du lieu, à d’éventuels travaux d’infrastructure à effectuer obligatoirement pour des mises en conformité, aux risques juridiques liés à une éventuelle mise en cause de la responsabilité du gestionnaire du domaine public…

Pour toutes ces raisons, il faut proposer des projets qui se déploient progressivement, au fil d’une évaluation périodique et sans concession, privilégier les projets qui peuvent se lancer en consommant le minimum d’espace, en mobilisant le moins de capital technique, en absorbant une quantité minimale d’intrants, des projets qui parviennent à exister au prix d’un ensemble très réduit d’externalités négatives.

Dans le but de s’installer durablement, il s’agit pour ces projets d’organiser une transformation douce et paisible du paysage urbain.

Penser un projet réversible

Ultime argument pour réfuter l’exigence stérile d’une certaine pérennité : la réversibilité des aménagements et infrastructures mis en place sur le site.

Si après avoir expliqué à votre interlocuteur que votre projet d’agriculture urbaine est (1) bénéfique pour les gens et améliore concrètement la qualité du lien social en ville, (2) qu’il est susceptible de réunir de tous les ingrédients socio-culturels nécessaires pour monter rapidement en puissance, que (3) son coût de réalisation est quasiment ridicule, qu’enfin (4) votre manière d’investir l’endroit n’entrainera aucune nuisance et sera particulièrement respectueuse des sensibilités du voisinage, si donc -après avoir expliqué tout cela- votre interlocuteur vous fait encore remarquer que « dans 3 ou 4 ans peut-être », ce que vous aviez pompeusement désigné comme un « jardin-école en permaculture » sera devenu une friche innommable, jonchée de vieilles palettes, envahie par l’ortie, la canette de bière et le chiendent, encombrée de l’habituel bric-à-brac du maraicher amateur, et bien « quand on sonnera la fin de la partie », ce sont ses « équipes qui auront à se farcir » la remise en l’état du terrain municipal, alors si définitivement votre interlocuteur se refuse d’envisager autre chose que l’ultime débarras, il vous faudra dégainer l’arme fatale et faire valoir que tout dans votre projet est facilement réversible, que la remise au statu quo ante est parfaitement envisagée d’une manière ou d’une autre.

La réversibilité du projet doit se penser à chaque étape de la réalisation : design non destructif, préservation systématique (mais raisonnée) de l’existant, sobriété des installations nouvelles, choix rigoureux des matériaux et des intrants, valorisation systématique et locale de tous les déchets, réemploi…

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